Accepter l'arrachement

Par principe, un tour du monde est fait de multiples rencontres. En effet, les rencontres que nous faisons au cours de notre Aven’tour nous apportent toujours beaucoup mais quels qu’en soient les circonstances et les fruits, elles ont un point commun : leur caractère éphémère. A quelques exceptions près, nous sommes quasiment sûrs que nous ne reverrons jamais les personnes que nous aurons rencontrées pendant cette année de voyage.

Cette réalité m’a frappée en plein cœur lorsque nous avons quitté le Maroc. Je nous revoie encore marchant main dans la main, nos gros sacs sur le dos, venant tout juste de dire au revoir aux Jacquier, la famille qui nous avait hébergés pendant 1 mois, et nous dirigeant vers l’aéroport de Casablanca… Nous étions tous tristes de quitter ce pays où nous avions noué de nombreuses amitiés et rencontré tant de personnes extraordinaires, à commencer par les petites mamans que nous avions côtoyées pendant 1 mois chez les Missionnaires de la Charité de Casablanca : nous avions noué des liens d’amitié et de complicité avec ces jeunes filles, nous avions ri, joué et tenté, ensemble, d’aller à l’encontre des lois musulmanes en montrant que l’amour peut être plus fort qu’une certaine idée de l’honneur… Mais nous ne les reverrons très certainement jamais. De même que les 7 sœurs qui nous ont ouvert les portes de leur mission et de leurs cœurs : Sœur Saray, Sœur Blandine, Sœur Victoire, Sœur Grace, Sœur Joyce, Sœur Mia-Noël et Sœur Chanel, qui avait pleuré avec moi le jour de notre départ, en me disant que nous nous reverrions à chaque eucharistie… Les larmes avaient à ce moment-là coulé car nous savions que nos chemins ne se recroiseraient plus jamais.

Même si nous savions que nous les reverrions en France, nous étions également tristes de quitter les Jacquier, famille si généreuse et si attentionnée à notre égard : « au Pérou, nous n’aurons certainement pas le même confort matériel et sans doute pas le même confort affectif… » avait murmuré Etienne. Il est vrai que bien plus que les douches chaudes tous les soirs, la gentillesse et l’enthousiasme des Jacquier nous auront beaucoup aidés pendant ce mois de service à Casablanca ! Pouvoir échanger avec eux chaque soir nous aura permis de comprendre certaines choses et surtout de prendre du recul sur ce que nous vivions quotidiennement.

Enfin, il y a toutes ces rencontres qui ont ponctué notre séjour au Maroc, l’espace de quelques jours ou simplement de quelques heures - ces rencontres qui nous auront permis de découvrir des personnalités bouleversantes semant quotidiennement des étincelles de paix et d’amour au creux de la société marocaine… Personnalités que nous ne recroiserons probablement jamais !

 

Voilà, nous étions tout excités de quitter le Maroc pour le Pérou, que nous ne connaissions pas et que nous avions hâte de découvrir ; mais lorsque le jour du départ est arrivé, nous nous sommes rendus compte que nous laissions dernière nous des amitiés qui resteront à jamais entre les mains du Seigneur ; et que nous partions finalement pour le grand inconnu… Nous savions toutes les merveilleuses personnes que nous laissions derrière nous mais nous ignorions ce qui nous attendait de l’autre côté de l’Atlantique…

La tristesse nous a envahis pendant nos 2 jours de voyage jusqu’à Lima, et s’est quelque peu estompée à notre arrivée chez Adélaïde et Maximo, qui nous ont accueillis 4 jours chez eux comme si nous étions des amis de toujours ! Et, à nouveau, c’est avec nostalgie que nous les avons quittés pour Cusco… Nous savons heureusement que nous les reverrons très certainement en France mais s’arracher ainsi constamment à ses amitiés et à ses habitudes n’est pas chose facile. Cela implique de constamment renoncer au confort de maîtriser le contexte matériel et affectif dans lequel on vit. Nous savions cela en partant et avions d’ailleurs hâte de l’expérimenter ! La réalité est moins facile et appelle une certaine adaptation.

 

Cette deuxième étape de notre Aven’tour nous aura donc permis de comprendre qu’il faut accepter l’arrachement pour pleinement profiter de ce voyage au long cours : à chaque fois, nous allons nous attacher aux gens puis devoir nous en séparer. C'est dur mais en même temps, grâce à toutes ces pépites que Dieu met sur notre route, nous découvrons tant de choses sur les pays que nous traversons et surtout sur la bonté de l'Homme ! Et, finalement, c’est parce que nous savons que nous avons peu de temps que nous creusons les amitiés liées au fil des jours, que nous profitons pleinement de chaque instant passé avec les personnes rencontrées et que nous allons droit à l’essentiel dans nos discussions – ainsi, lors de nos 10 premiers jours en stop de Paris à Casablanca, nous avons presque toujours parlé de religion avec nos conducteurs…

Je finirai donc en affirmant que pendant cette année, c’est l’arrachement qu’il nous faut apprendre à accepter, et non le détachement – nous devons accepter de nous séparer des personnes rencontrées sans pour autant mettre de la distance dans nos relations pour moins souffrir du départ ; cela serait bien trop triste et bien trop éloigné du sens que nous mettons dans notre tour du monde : vivre la Rencontre !

Pérou, juin 2016