Nous avons passé 2 mois en mission auprès des Missionnaires de la Charité de Calcutta. Point culminant de notre Aven’tour - Mère Teresa ayant entrepris son action et fondé la congrégation à Calcutta, ce temps de service nous a marqués par l’esprit de bienveillance et de prière qui régnait entre les centaines de sœurs et volontaires.

Notre quotidien

Tous les matins sauf le jeudi – jour de congés des volontaires, nous nous levions à 5h20 pour assister à la messe de 6h à la Mother House (la Maison-mère des Missionnaires de la Charité). Nous quittions donc notre hôtel avant le lever du jour et marchions 20 minutes dans les rues de Calcutta encore plongées dans la nuit. Cette promenade matinale nous offrait à chaque fois un aperçu de la pauvreté omniprésente à Calcutta : dans les rues que nous empruntions, nous croisions des centaines d’hommes et de femmes vivant à même la chaussée, certains dormant encore, d’autres faisant leur toilette ou se réchauffant auprès de petits feux de déchets ; nous croisions également de nombreux chiens errants, vaches et corbeaux dégustant un copieux petit-déjeuner composé de déchets et de rats écrasés… Un spectacle varié et dépaysant que nous ne sommes pas prêts d’oublier ! Arrivés à 6h à la Mother House, pleinement réveillés après cette marche à chaque fois plus surprenante que la veille, nous avions la joie de vivre la messe avec les 200 Missionnaires de la Charité de la Maison et une centaine de volontaires.

 

Ensuite, nous partagions le petit-déjeuner offert par les sœurs avec tous les volontaires : chaï tea (thé au lait sucré : un régal !), pain de mie et bananes, de quoi vous donner des forces pour la journée ! Ce petit-déjeuner était l’occasion idéale pour faire des rencontres et intégrer les nouveaux volontaires. Par juste retour des choses et parce que j’aime particulièrement cela, je mettais un point d’honneur à aller voir les nouveaux pour faire connaissance avec eux et leur souhaiter la bienvenue ! J’étais à chaque fois émerveillé par l’incroyable diversité des volontaires, venus des quatre coins du globe et d’horizons très différents.

Après le petit-déjeuner et les différentes recommandations faite par la sœur responsable des volontaires, nous chantions pour les volontaires vivant leur dernier jour de service l’émouvante chanson « We thank you, thank you, thank you, We love you, love you, love you, We miss you, miss you, miss you ! ». Taquin, je n’hésitais pas à prendre les paris avec certains amis sur les larmes versées ou non par les différents volontaires au moment de la chanson 😊 Inès n’y échappa pas le dernier jour !

 

 A la fin de cette chanson, les volontaires partaient tous par petits groupes vers la maison des Missionnaires de la Charité à laquelle ils avaient été assignés. Inès et moi avions choisi Kalighat, le mouroir de Calcutta, car il nous tenait à cœur de servir dans la première maison fondée par Mère Teresa. Avant même de commencer cette nouvelle mission, nous avions le pressentiment que celle-ci allait nous bouleverser... 

Notre mission

Kalighat ou Nirmal Hirday, connu également comme « le mouroir de Calcutta », est la première maison créée par Mère Teresa, en 1952. Les Missionnaires de la Charité y accueillent des hommes et des femmes malades pour qu’ils puissent mourir dans la dignité et recevoir l’amour et la considération dont ils ont souvent été privées toute leur vie. « Un jour, disait Mère Teresa, j’ai relevé un homme qui vivait dans un égout… Je savais que sa fin était proche. Au moment où je le pris dans mes bras, il me dit avec un sourire : ‘J’ai vécu toute ma vie dans la rue comme un animal, mais je vais mourir comme un ange, aimé et soigné’ ». Tel est le magnifique esprit de Kalighat, un esprit qui perdure aujourd’hui grâce aux sœurs, aux workers (les salariés qui permettent à la maison de tourner) et aux volontaires !

 

Le mouroir n’est donc pas un hôpital mais un lieu où l’on donne de l’amour à des personnes qui ont la plupart du temps vécu toute leur vie dans la rue. Ce n’est pas un endroit particulièrement joyeux et il y règne une importante pauvreté mais avec la joie et l’amour que peuvent apporter les sœurs, les workers et les volontaires, tout peut changer ! Les premiers jours, Inès et moi étions impressionnés par ce lieu et par l’état de certains patients ; mais, dès le début, nous avons rencontré des volontaires géniaux qui nous vite rassurés et qui nous ont beaucoup appris ! Ils nous ont encouragés et donné de nombreux conseils. Par la suite, nous avons à notre tour essayé de transmettre notre enthousiasme et notre expérience aux nouveaux volontaires pour que ceux-ci prennent rapidement leurs marques. Cette chaîne d’amour et d’encouragement perdure depuis longtemps et elle n’est pas prête de s’arrêter ! Mère Teresa a également le don de nous rassurer par rapport à cela : « Ce qui compte ce n'est pas ce que l’on fait mais l'amour avec lequel on le fait »...

En arrivant chaque matin, nous avions la chance de participer à la prière avec les sœurs de Kalighat et les novices venant aider pour la journée. Inès avait pour mission d’y accompagner une des patientes qui souffrait du cancer et avait besoin de la prière quotidienne pour garder le moral. Une superbe amitié s’est créée entre Inès et cette petite femme, qui rayonnait de joie à chaque fois qu’Inès lui prenait la main pour l’emmener devant le coin prière. Une des sœurs me confia plus tard que, grâce à Inès, cette patiente se réveillait chaque matin heureuse de la perspective de prier et que grâce à la prière elle avait retrouvé le sourire pour tout le reste de la journée ! Le moment que nous préférions dans cette prière matinale était lorsque les novices entonnaient le superbe chant « What so ever you do to the least of my brothers, that you do unto me » (« Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait »). Cette phrase résonnait chaque jour en nous lorsque nous touchions ces hommes et ces femmes si pauvres et vulnérables.

 

Après la prière, nous nous dirigions chacun de notre côté, Inès avec les femmes et moi avec les hommes, pour l’un de nos moments préférés de la matinée : la tournée des « bonjours ». Nous prenions le temps de saluer chacun des patients, de les embrasser et de les serrer affectueusement dans nos bras. Voir un sourire illuminer tous ces visages était pour nous le meilleur des énergisants ! Certains matins, le réveil était plus dur et nous partions à la messe avec des pieds de plomb ; mais arrivés à Kalighat, la tournée des « bonjours » avait le don de nous redonner toute la force dont nous avions besoin pour accomplir avec joie notre matinée de service !

 

Je pense notamment à l’un des patients, arrivé dans un piteux état le 25 décembre au matin. Je l’ai aidé à prendre son premier bain d’eau chaude depuis longtemps et l’ai alors vu revivre et jouer comme un enfant avec le savon, un sourire incroyable éclairant peu à peu son visage. J’ai par la suite passé pas mal de temps avec lui, me mettant en quatre pour le faire rire - il faut déborder d’imagination pour surmonter la barrière de la langue et saisir la moindre occasion pour faire des petites blagues - et essayant de lui faire faire des exercices physiques. Il a progressivement retrouvé goût à la vie et irradiait mes matinées de son superbe sourire. Lors de mon dernier jour, nous avons fondu plusieurs fois en larmes tous les deux, à la fois de joie face à cette si belle amitié qui s’était créée et de tristesse car nous savions que nous ne nous reverrions probablement jamais. Avec le recul, je me suis aperçu que cet homme était probablement le plus beau cadeau de Noël que j’ai jamais reçu !

Après la tournée des « bonjours », Inès participait avec les autres volontaires à la lessive quotidienne. Nettoyage, rinçage, essorage, étendage du linge… C’était chaque matin une vraie organisation !

 

Ensuite, les volontaires filles allaient du côté des femmes et les volontaires garçons allaient du côté des hommes ; leur parler et les écouter, leur faire des massages ou des manucures, les accompagner aux toilettes ou là où ils souhaitaient se rendre, leur faire faire des exercices physiques, chanter et danser devant eux… tout était bon pour les faire sourire et leur apporter un peu de joie et d’attention !

 

Inès a également passé beaucoup de temps à l’infirmerie pour accompagner les patientes lors de certains soins. Pendant que les novices s’occupaient de soigner les plaies, Inès était là pour soutenir les patientes : elle profitait de sa belle voix pour chanter tout en leur donnant la main, ce qui avait le don d’apaiser tout le monde. Un superbe charisme !

 

Pour ma part, j’ai passé la majorité de mon temps aux toilettes avec l’aide de quelques autres volontaires. Notre mission était d’emmener les patients non autonomes aux toilettes, puis de les essuyer (à l’indienne bien sûr : avec la main gauche et de l’eau…), de les laver et de les rhabiller. Nous avons lavé ces hommes avec beaucoup de joie : la joie profonde de pouvoir aider ces hommes si pauvres, vulnérables et touchants ; la joie de toucher et de laver le Christ présent sous leur déguisement de misère.  

 

Tout au long de ces deux mois, je pensais régulièrement à ma sainte préférée : Sainte Teresa de Calcutta. Malgré son emploi du temps très chargé, elle arrivait à prendre le temps de se rendre régulièrement à Kalighat. La porte de l’entrée à peine franchie, elle filait dans les toilettes des hommes (le lieu le plus sale de la maison - je confirme) pour les nettoyer de fond en comble. Quel magnifique exemple de la part de la Mère des pauvres !

Cette expérience m’a également donné une belle leçon d’humilité. En effet, aux toilettes, il était impossible de ne pas penser à l’humilité des patients que nous lavions. Ces hommes si vulnérables acceptaient d’être nus devant nous, baignant dans leurs excréments. Il était ainsi de notre devoir de nous occuper d’eux avec dignité. La joie et l’humour bienveillant étaient les meilleurs remèdes pour que les patients retrouvent le sourire le plus rapidement possible !

 Cette expérience m’a également donné une belle leçon d’humilité. En effet, aux toilettes, il était impossible de ne pas penser à l’humilité des patients que nous lavions. Ces hommes si vulnérables acceptaient d’être nus devant nous, baignant dans leurs excréments. Il était ainsi de notre devoir de nous occuper d’eux avec dignité. La joie et l’humour bienveillant étaient les meilleurs remèdes pour que les patients retrouvent le sourire le plus rapidement possible !

 

Passer sa journée dans les toilettes du mouroir de Calcutta est un job difficile mais il trouve tout son sens si on le fait gratuitement - le véritable don est dans la gratuité. « Pour 1 million de dollars, je ne ferais pas ce que vous faites », dit un jour un journaliste à Mère Teresa ; ce à quoi elle répondit : « Je peux vous rassurer, moi non plus. Pour 1 million de dollars, je ne le ferais pas, mais pour l’amour de Dieu, pour l’amour de cet homme, oui ».

 

Je me suis également beaucoup occupé d’un patient, un ancien rickshaw (ou homme-cheval, spécialité horrible de Calcutta pour ceux qui ont lu le livre La Cité de la Joie). Jamais l’expression « dur comme du bois » n’a été aussi bien adaptée pour désigner les membres de cet homme. Tous les matins, il voulait faire différents exercices et faisait preuve d’une volonté incroyable pour pouvoir, peut-être un jour je l’espère, se tenir à nouveau débout et se nourrir seul.  

 

Nous avons donc passé de nombreux moments de joie à Kalighat, mais également plusieurs moments de tristesse. Nous avons en effet été confrontés à la dure et violente réalité de la mort. Inès a ainsi vu une patiente mourir sous ses yeux alors qu’elle chantait pour elle en lui tenant la main - bouleversant. Cette femme était arrivée la veille et a au moins pu mourir dignement et non dans la rue… Pour ma part, jamais je n’oublierai le visage de ces patients avec qui j’ai partagé de si bons moments et qui nous ont ensuite quittés. Arriver le matin et m’apercevoir qu’un des patients était décédé la nuit d’avant était un moment difficile et malheureusement récurrent dans la mission. Un dimanche, avec deux volontaires espagnols, nous avions lavé un des hommes juste avant la messe de 10h (la messe était célébrée tous les dimanches à Kalighat). En savonnant le patient, j’ai interpellé mes deux amis volontaires pour leur faire remarquer combien il était beau de voir cet homme si heureux que l’on s’occupe de lui ; et surtout, nous devions être dans la joie et la gratitude de pouvoir laver cet homme juste avant la messe, tout comme Jésus lava les pieds de ses disciples avant la Cène ! Une fois le bain terminé, nous avons déposé le patient dans son lit, l’avons embrassé puis sommes partis pour la messe. Dès la fin de la célébration, j’ai couru pour voir si tout allait bien… mais l’homme venait de mourir… Il est parti tout propre et heureux vers Dieu !

Les novices Missionnaires de la Charité : une Espérance pour le monde !

Nous avons eu la chance de créer une belle amitié avec les novices qui venaient aider à Kalighat ; Inès notamment a partagé de nombreux moments avec elles. Les novices sont celles qui se préparent à devenir sœurs. Elles portent le sari blanc pendant 4 ans et, si elles choisissent de prononcer leurs premiers vœux, elles peuvent porter le fameux sari blanc bordé de bleu tout en cheminant vers les vœux perpétuels. Les novices confiaient souvent à Inès qu’elles priaient pour que nous ayons beaucoup d’enfants et que, dans quelques années, nous revenions à Calcutta avec eux ! Elles nous recommandaient d’avoir au minimum 5 enfants : 2 filles Missionnaires de la Charité, 1 fils prêtre et 1 fils frère et 1 dernier enfant pour s’occuper de nos vieux jours !

 

Nous étions proches des sœurs lors de nos précédentes missions mais c’était la première fois que nous voyions des novices Missionnaires de la Charité et elles nous ont tout simplement émerveillés ! Voir ces femmes si jeunes, si belles et si ferventes avoir un sourire magnifique aussi bien dans les moments de prière que lors des contacts avec les plus vulnérables nous a fait grandir. Ces jeunes filles, qui auraient pu être nos amies, ont décidé d’offrir leur vie pour servir les plus pauvres d’entre les pauvres : magnifique et bouleversant ! A chaque fois que vous manquez d’Espérance pour quelque chose, pensez à ces femmes qui ont décidé de donner ce qu’elles ont de plus précieux au Seigneur !

La communauté des volontaires : une richesse incroyable !

La Mother House de Calcutta est un lieu magnifique qui rassemble des personnes de tous horizons ; nous avons ainsi rencontré des volontaires venus des quatre coins du globe - France, Espagne, Italie, Allemagne, Etats-Unis, Mexique, Chili, Argentine, Nouvelle-Zélande, Australie, Chine, Japon, Corée du Sud, de confessions très différentes - chrétiens, juifs, bouddhistes, hindous mais aussi athées, de tous âges - lycéens, étudiants, jeunes pro, parents, retraités et même Josette, une arrière-grand-mère pleine d’énergie qui vient tous les ans depuis 10 ans ! - et venus aider dans des cadres divers et variés – volontaires venus en solo, en couple ou en groupes d’amis, volontaires souhaitant consacrer au service leurs 2 semaines de vacances ou plusieurs mois qu’ils se sont accordés à un moment charnière de leur vie, voyageurs de passage venant par curiosité ou habitués se rendant depuis des années à Calcutta, quelques mois à chaque fois, séminaristes, prêtres, couples mariés, ou personnes se posant des questions sur leur vocation… Chacun a son propre parcours et sa propre histoire, chacun vient avec ses talents et ses aptitudes, mais tous ont un point commun : ils viennent à Calcutta pour servir l’Autre et à travers l’Autre se mettre en quête de quelque chose de plus grand, de différent… Personne ne vient à Calcutta par hasard !  « On ne va pas à Calcutta pour sauver le monde mais pour se sauver soi-même ».

 

Contrairement aux missions que nous avions précédemment effectuées, nous étions donc à Calcutta entourés non de quelques volontaires mais d’une véritable communauté de volontaires ! Nous espérons revoir toutes ces personnes qui furent pour nous comme une deuxième famille pendant nos 2 mois de mission, notamment à Noël ! 

A Calcutta, j’ai donc encore davantage découvert la joie profonde du service. La joie est le fruit d’une décision. Ainsi, je pense pertinemment que si l’on décide de mettre de la joie dans chaque petite action même celles qui, au départ, semblent très rebutantes, on trouve la joie véritable, celle qui habite notre cœur en profondeur !

 

En finissant ces 2 mois de mission, entre deux bières partagées avec Inès et des amis volontaires, j’éprouve un grand sentiment de gratitude pour avoir vécu cette expérience bouleversante - probablement la plus difficile de ma vie mais certainement la plus belle ! Nous sommes vraiment éreintés mais profondément heureux !

Février 2017